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Vous dites Espérance ?

La pensée d'un évêque peut évoluer !

Bernard Housset, évêque émérite de La Rochelle et Saintes - Prêtres, religieux
Mediaspaul, février 2019
Doctrine et pastorale
Bernard Housset, dans la ligne pastorale du Pape François et avec une belle espérance, aborde dans cet ouvrage des questions névralgiques diverses et qui font débat, dont la reconnaissance et l'estime due aux personnes homosexuelles dans et par l'Eglise.
Signe d'Espérance remarquable, Mgr Housset témoigne de son évolution d'évêque sur cette réalité. Nous reproduisons ici les extraits les plus significatifs du livre sur cette évolution de sa pensée.

Ma position initiale : le « mariage » de deux personnes de même sexe ?


On m’interroge sur cette question d’actualité. Ma réponse articule les éléments suivants :

1. Ce qui est premier, c’est le respect de toute personne. Dans sa dignité inviolable. Quelle que soit son orientation sexuelle. Je comprends qu’après des siècles de marginalisation, pour ne pas dire de mépris, les personnes homosexuelles aient vraiment soif de ce respect. Il importe donc de continuer de lutter contre toutes les formes d’homophobie qui existent encore. En particulier contre une certaine peur inconsciente à l’égard des personnes qui affirment leur homosexualité, et en favorisant l’égalité entre tous, selon le premier mot de notre devise républicaine.

2. Mais l’égalité n’est pas l’égalitarisme (pas plus que la laïcité n’est le laïcisme). Égalité rime avec altérité. Celle-ci est un élément constitutif de la vie et de l’humanité. L’égalité ne signifie pas que nous sommes tous pareils et indifférenciés. C’est parce que les humains sont différents, à commencer par la différence fondamentale hommes-femmes, que l’altérité est possible et nécessaire.
Certes, les anthropologues et les ethnologues nous ont appris que l’exercice des différences varie selon les cultures et les sociétés. La donnée naturelle de la différence entre hommes et femmes a souvent été confondue avec une prétendue supériorité des hommes sur les femmes. L’égalité des sexes n’est pas encore suffisamment vécue, même dans nos sociétés dites évoluées. Des progrès sont à réaliser dans nos références et pratiques culturelles, grâce à l’altérité qui est structurante pour l’humanisation. Tenir compte des différences, ce n’est pas verser dans la discrimination.

3. Le mariage est à la croisée des données naturelles et des acquis culturels. Les sociétés dans leur variété, ont mis des millénaires à le forger. Il n’existe pas jusqu’ici de société qui ait fonctionné sans institution matrimoniale. Même si celle-ci a revêtu des formes très diverses, elle articule l’union de l’homme et de la femme avec la succession des générations. Le mariage, en effet, assure plusieurs éléments au service de l’humanisation :
– Il permet habituellement la transmission de la vie, grâce à la rencontre entre un homme et une femme. Le nouveau-né vient au monde sans avoir choisi ni son père, ni sa mère, ni son lieu, ni sa date de naissance. Ces données sont pourtant essentielles à son identité et lui serviront de base pour construire sa personnalité. Aucun humain ne peut être sa propre source.
– Il montre que, si le père et la mère sont indispensables, ils sont tous les deux égaux dans la différence de leurs fonctions pour la transmission et l’éducation de la vie humaine.
– Il assure aussi la présomption de la paternité, selon l’un des grands principes du droit romain : « Le père est celui que les noces ont montré ». Connaître ses origines et s’inscrire dans une lignée est essentiel pour la construction de son identité.
Outre ces fonctions anthropologiques, le mariage assure aussi des fonctions sociales, même s’il n’est plus la seule porte d’entrée pour la fondation d’une famille :
– Il garantit la protection des plus faibles, d’abord les enfants, mais aussi de l’un ou l’autre conjoint. En ces temps où le mariage est dévalorisé, on constate malheureusement que la catégorie la plus importante des personnes en précarité est celle des femmes seules avec un, deux ou trois enfants à charge.
– Le mariage ne se contente pas de reconnaître publiquement le sentiment amoureux entre un homme et une femme. Il encadre la transmission de la vie en organisant la relation entre conjugalité et procréation. Il assure ainsi une stabilité des couples et des familles, même si des incidents de parcours sont et seront toujours inévitables. Cette stabilité contribue à celle de la société. On ne peut pas se contenter d’une perspective individualiste du mariage.

4. On peut alors comprendre aisément que l’extension automatique du mariage aux personnes de même sexe aboutirait à de graves confusions et des contradictions juridiques. Par exemple, va-t-on mentionner sur le registre d’état civil « parent 1 » et « parent 2 », au lieu de père et mère ? Pourra-t-on , d’un trait de plume, effacer des réalités aussi importantes que la paternité et la maternité ? Pourquoi rabaisser ces réalités fondatrices d’humanité à une parenté neutre et indifférenciée ? Comment les couples hétérosexuels réagiront-ils lorsqu’ils auront pris conscience de ce changement qui leur a été imposé ?
De toute manière, il faudra pour les couples de personnes homosexuelles ajouter « parent 3 ». Car un enfant ne peut pas naître d’un couple constitué par deux personnes de même sexe. Si on ne le fait pas, on va dissimuler à l’enfant son origine. Il ne suffira pas de lui dire qu’il est « né de » ses parents 1 et 2.
Autre exemple : on se réfère beaucoup, au sujet de ce « mariage pour tous », au droit « à » l’enfant. Il est vrai que chaque être humain aspire à engendrer et à survivre, sous une forme ou sous une autre. Mais il est indispensable de ne pas oublier le droit « de » l’enfant, droit d’être reconnu comme une personne à part entière, sans être traité comme une marchandise que l’on se procurerait à n’importe quel prix. Cette « marchandisation » n’est pas illusoire dans une société qui a tendance à tout acheter et vendre sans tenir compte du don et de la gratuité.
Les évêques du Conseil Famille et Société ont bien raison d’affirmer en conclusion de leur important document paru en septembre 2012 : « Elargir le mariage aux personnes du même sexe ? Ouvrons le débat ! »

Une évolution du droit de la famille est toujours possible. Mais plutôt que de céder aux pressions de différents groupes, la France s’honorerait à instaurer un vrai débat de société et à chercher une solution originale qui fasse droit à la demande de reconnaissance des personnes homosexuelles sans pour autant porter atteinte aux fondements anthropologiques de la société.

 

 

Deux ans plus tard, j’ai écrit un autre texte sur le sujet. Différent…
Ce qui montre qu’un évêque peut évoluer dans sa pensée.
Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis.

 

Tradition chrétienne et évolution de la famille

Sous ce titre, le père Philippe Bacq, jésuite belge, publie dans la revue Études du mois de mars, un article qui donne vraiment à penser. Je le présente volontiers, en espérant que mon résumé ne va pas le dénaturer.

Dans les conciles, chaque évêque est accompagné d’un théologien. C’est une pratique traditionnelle. Il n’est pas inconvenant qu’un évêque recommande un article théologique, puisqu’il s’y retrouve bien comme pasteur d’un diocèse. Sont abordées des questions complexes qui vont être débattues durant les prochains synodes romains sur la famille.

Le père Bacq utilise un document récent de la commission théologique internationale intitulé : « A la recherche d’une éthique universelle, nouveau regard sur la loi naturelle ». Ce texte a été rendu public le 27 mars 2009 et publié dans la Documentation catholique des 6 et 20 septembre 2009, col. 811-844. Le père Bacq tient compte aussi de l’apport des sciences humaines et, à leur lumière, s’appuie sur des réflexions de saint Thomas d’Aquin.

 

Le mariage selon la loi naturelle

Il commence par rappeler l’importance de la « loi naturelle » pour la théologie catholique en général et la réflexion sur le mariage en particulier. Mais tout en précisant qu’il parle « des chrétiens mariés de nos régions » et non pas pour la terre entière, il constate qu’à l’heure actuelle, « cette notion paraît compliquée ». La plupart des familles et des pasteurs ne s’y réfèrent pas, préférant suivre au mieux leur conscience.
C’est qu’il y a un décalage entre une conception juridique du mariage et « le critère moral » des couples actuels : « se rendre mutuellement heureux, se faire du bien, grandir en humanité en se respectant dans ses différences, s’épanouir ensemble ». Ainsi « aborder le mariage par le biais de l’obligation, c’est l’envisager à partir de ses difficultés et non des sources de vie qu’il promeut ».

Le père Bacq propose donc de réfléchir autrement, à partir de deux affirmations essentielles de saint Thomas d’Aquin. Celui-ci, dans un texte cité deux fois par la commission théologique internationale, affirme :

La créature raisonnable (…) participe elle-même de cette providence divine en pourvoyant à soi-même et aux autres (…). C’est une telle participation de la loi éternelle qui, dans la créature raisonnable, est appelée loi naturelle ( Somme théologique Ia Iae q.91 art 2).

Commentaire du jésuite : « Être providence, c’est porter attention à, veiller sur, chercher ce qui peut être profitable (…). On pourrait dire prendre soin de soi et des autres. »

Une telle « conception relationnelle de la loi naturelle » prend davantage en considération la vie du désir. D’autant plus qu’elle rejoint le cœur du discours sur la montagne : « Comme vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux, c’est la loi et les prophètes » (Mt 7,12). Cette règle d’or est d’ailleurs celle de la plupart des sagesses du monde. Ainsi, « le fondement absolu de l’éthique est la personne de l’autre, même pour tous ceux qui ne croient pas en Dieu ». La personne de l’autre est vraiment « l’absolu à respecter ».

Cette manière de présenter l’amour et le mariage rejoint aussi la vie trinitaire. Les personnes divines sont « providences les unes pour les autres ». Le Père, le Fils et le Saint-Esprit se donnent et se reçoivent en toute réciprocité, relations qui constituent l’identité de chacun. On saisit mieux pourquoi la vie des couples est fondée sur la trinité, ce qui n’est pas rien !

Un second point présenté par saint Thomas d’Aquin est également essentiel. La loi naturelle, dit-il, comprend trois niveaux. Tout d’abord le précepte qui consiste à « faire le bien et éviter le mal », fondement des autres. Ceux-ci (second niveau) sont les préceptes premiers immuables : « la conservation de son être selon sa nature propre, puis ce qu’il a de commun avec le monde animal, enfin ce qui lui est propre en tant qu’homme ». Le document de la commission théologique internationale explicite ces préceptes (n°36 à 59). Un troisième niveau est celui des préceptes seconds. Eux non plus « ne changent pas dans la plupart des cas, mais il peut y avoir des changements en tel cas particulier ». Ceux-ci sont légitimes s’ils promeuvent « ce qui est utile à la vie humaine ».

Et le père Bacq de commenter :

Vu le progrès des sciences humaines, on peut même se demander si, du point de vue d’un changement possible, certains préceptes premiers ne peuvent pas être considérés comme des préceptes seconds, dans certains cas assez rares.

La commission théologique internationale énumère quelques exemples « d’évolution de la réflexion morale sur des questions comme l’esclavage, le prêt à intérêt, le duel ou la peine de mort » (53).

 

Les unions des personnes du même sexe

La sexualité est perçue de nos jours comme un ensemble de pulsions ( voir, toucher, goûter et aussi la pulsion sexuelle proprement dite à partir de l’adolescence) qui s’ordonnent petit à petit grâce à l’éducation (…). Mais ce n’est jamais une fois pour toutes.

Dans la plupart des cas (selon l’expression de saint Thomas d’Aquin), il s’agit d’une attirance hétérosexuelle. Mais certains – c’est leur nature particulière – sont attirés par des personnes de même sexe et ils n’y peuvent rien. Selon le titre d’un livre de J.Balthazart, Biologie de l’homosexualité : On naît homosexuel, on ne choisit pas de l’être ( Bruxelles, Mardaga, 2010).

Les sciences humaines nous ont fait découvrir que, pour les personnes homosexuelles, c’est leur nature, même si elle est particulière. D’autre part, « interdire toute relation homosexuelle est perçu comme une discrimination insoutenable ». Enfin « la répression de l’exercice de la sexualité, imposée du dehors, peut conduire à des conséquences néfastes ».

Quant aux recherches de certains théologiens, ils se demandent si l’hétérosexualité est à situer parmi les préceptes premiers immuables ou parmi les seconds. Certes, la différence sexuelle est essentielle. L’affirmer ne revient pas à affirmer que les sexes sont inégaux. Mais peut-on faire de la distinction sexuelle un absolu qui passerait avant le principe premier de la loi naturelle : se faire du bien l’un l’autre, être providence pour soi et pour l’autre ? Ne donne-t-on pas la priorité à une détermination corporelle, certes très importantes, mais pas absolue, au détriment de la personne, considérée dans ce qu’elle a d’unique ?

Ce qui est sûr, c’est que le Christ et le Pape François nous invitent à passer d’une attitude de mépris (comme nous l’avons eue pour les juifs) à un réel respect des personnes homosexuelles. Elles sont minoritaires mais elles ne sont pas déviantes. La différence est de taille. Et celles qui le veulent ont toute leur place dans l’Eglise. Toute personne est un absolu à respecter absolument, quelle que soit son orientation sexuelle.