La déclaration Fiducia supplicans publiée par le Vatican le 18 décembre entérine la possibilité pour les couples dits « en situation irrégulière » – c’est-à-dire les couples de même sexe, mais également les divorcés remariés – de recevoir une bénédiction de la part d’un prêtre ou d’un diacre au sein de l’Eglise catholique.
Cette validation a été prononcée par le dicastère pour la Doctrine de la foi, instance vaticane ayant pour mission de maintenir la cohérence et l’unité des principes et croyances défendues par l’Eglise catholique. Pourtant, c’est ce même dicastère, autrefois appelé Congrégation pour la doctrine de la foi, qui enterrait dans les années 1980 toute possibilité d’ouverture de l’Eglise catholique sur l’homosexualité, dans un contexte social d’avancée des droits des personnes homosexuelles.
Sous la plume de Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, la Congrégation rappelait encore en 2003 qu’aucune approbation morale ni reconnaissance juridique du « comportement homosexuel » n’était possible, sous peine de menacer « la moralité publique ». La possibilité d’une bénédiction des couples de même sexe était encore refusée en 2021, et a fait l’objet de nombreuses tensions et revirements au sein de l’Eglise catholique ces dernières années.
Les propos d’ouverture du pape
Fiducia supplicans marque donc une évolution franche du style et de la démarche, dans laquelle la patte du pape François est reconnaissable. Celui-ci, depuis le début de son pontificat, défend en effet une démarche « d’ouverture pastorale ». Sans toucher au volet doctrinal, source de bien des résistances et crispations conservatrices, le pontife marque sa volonté de sortir d’une logique de régulation par le haut, des « schémas doctrinaux ou disciplinaires » [expression du pape citée dans la récente déclaration], en laissant la place à une Eglise de terrain.
Le pape se sert donc ici de la bénédiction, présentée comme une pratique spontanée et populaire, pour ouvrir des possibilités d’accompagnement des couples LGBTQIA+, sans non plus entériner de changement radical. De fait, la pratique de bénédiction est née dans les paroisses de pays occidentaux, où elle pouvait s’effectuer jusque-là de manière officieuse.
On ne peut que se réjouir que les propos d’ouverture du pape, qui se multipliaient jusqu’alors de manière parfois peu claire, aboutissent enfin à la publication d’un document faisant autorité de manière pérenne. Le pape a vraisemblablement profité de l’arrivée du cardinal Victor Manuel Fernandez, qu’il a nommé à la tête du dicastère, pour entériner cette décision, alors même qu’il voit peut-être arriver les derniers temps de son pontificat.
Un vrai moment d’échange et d’écoute
Si le changement d’approche est plus que bienvenu, il n’en demeure pas moins que l’avancée pastorale fait pour l’instant l’économie d’un travail théologique en profondeur. L’écart qui s’ensuit entre les pratiques et la doctrine peut donner une impression de confusion ou de contradiction. Si cela laisse une marge d’appréciation à même de calmer les ardeurs conservatrices, cela ne rassurera pas les personnes LGBTQIA+ catholiques qui se voient encore sans cesse rappelées à leur état de péché.
Deux enjeux demeurent donc fortement en suspens. Tout d’abord, quelle appropriation sera faite dans la pratique de cette possibilité de bénédiction ? Les couples qui frappent à la porte de leur paroisse seront-ils réellement reçus, et quelle démarche de bénédiction leur sera proposée ? Les gestes et les mots qui seront prononcés à ces occasions sont autant susceptibles de raviver les blessures, que de rendre à l’Eglise un réel visage d’humanité.
Si le texte pose clairement des limites dans la pratique des bénédictions afin d’éviter toute association avec le sacrement du mariage, espérons que les prêtres et diacres se saisiront de cette occasion pour proposer un vrai moment d’échange et d’écoute, suspendant leur jugement moral.
Avoir donné espoir aux personnes et couples LGBTQIA+
Comme le sous-tend un précédent document du dicastère publié en octobre 2023, qui rappelait qu’il n’y avait pas de raison de refuser le baptême aux personnes trans ou aux enfants de familles homoparentales, l’accueil dans les diocèses des personnes LGBTQIA+ et de leurs familles est loin d’être un acquis.
Bien souvent encore, on n’ose solliciter un sacrement ou une bénédiction que parce qu’on connaît le prêtre, diacre ou religieux qui y officie, ou parce que l’on sait que telle paroisse a une tradition d’ouverture. Mais des échos de rejet nous parviennent encore, alors même que des personnes LGBTQIA+ continuent de se tourner vers l’Eglise catholique malgré ses prises de position souvent blessantes à leur encontre.
Ce n’est pas la moindre des réalisations de François que d’avoir donné espoir aux personnes et couples LGBTQIA +, qui expriment la flamme de leur foi comme de leur amour. Le second enjeu, plus fondamental, est la nécessité d’un réel travail théologique ouvrant la voie à un changement doctrinal, et non plus seulement pastoral.
Un nécessaire renouveau de la théologie morale
L’argumentaire catholique, fondé sur la notion de « loi naturelle », ne pourra évoluer que par davantage de dialogue avec les sciences sociales, et par une vraie liberté d’innovation théologique. Or, en matière de morale sexuelle, la parole des théologiennes ou théologiens dans les institutions catholiques est souvent bridée, et ne peut entrer en contradiction directe avec les énoncés du Vatican
Sans renouveau de la théologie morale, il est impossible d’espérer des avancées. La place des personnes LGBTQIA+, des couples et des familles « irrégulières » selon le Vatican restera soumise à l’épée de Damoclès d’une condamnation morale, et l’Eglise catholique ne pourra prétendre à un vrai visage d’inclusion.
Signataires : Cyrille de Compiègne, porte-parole de D & J Arc-en-ciel (anciennement David & Jonathan), association LGBTI+ chrétienne ouverte à toutes et tous ; Alix, coprésidente, et Gabriel Sampaio, coprésident de D & J Arc-en-ciel (David & Jonathan) ; Florence Euverte, cofondatrice de Reconnaissance, association fondée par des catholiques parents de personnes homosexuelles ; Anthony Favier, historien et membre de D & J Arc-en-ciel ; Francis Coffinet, écrivain et membre de D & J Arc-en-ciel.