ENQUÊTE – Alors que le synode qui se conclut dimanche a abordé pour la première fois la place des personnes homosexuelles dans l’Église catholique, des fidèles confient au Figaro la difficulté de trouver la juste conciliation entre leur foi et leur sexualité.
«Je suis déchiré entre deux mondes. Trop catho pour le milieu homosexuel, trop homo pour mon milieu catho. Avec ce sentiment de devoir me débrouiller seul pour trouver ma place». Dans la famille catholique pratiquante de Thibaut, 26 ans, l’homosexualité n’a jamais été un sujet. La question était tout bonnement inexistante. Ainsi, alors qu’il ressent les premiers signes de cette attirance vers 12 ans, le jeune homme se cache. Ce n’est que bien plus tard, en première année de licence, lorsqu’il tombe amoureux d’un garçon de sa promo, qu’il commence à prendre la réalité de face. Peu encouragé par les propos durs entendus de plusieurs prêtres en confessions, il espace sa fréquentation de l’église. « Ça m’a paru évident que ma religion et ma sexualité ne pouvaient coexister. Alors j’ai mis de côté la foi ».
Car, dans le catéchisme de l’Église catholique, les « actes d’homosexualité » sont qualifiés comme « intrinsèquement désordonnés ». Puisqu’ils dissocient l’acte sexuel du don de la vie, ils sont « contraires à la loi naturelle » et ne « procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable », expliquent les articles 2357 à 2359 qui condensent en moins de dix lignes tout l’enseignement de l’institution sur le sujet. Des termes qui résonnent parfois avec dureté pour les personnes concernées.
Synode sur l’avenir de l’Église
«J’avais pourtant du mal à croire que Dieu ne puisse pas m’accepter comme j’étais», continue Thibaut. Au fur et à mesure des mois, l’étudiant en psychologie en Seine-Saint-Denis tente de trouver sa propre voie, seul. «C’était entre Dieu et moi. Je n’allais pas à la messe, je vivais juste des temps de prière chez moi. Je le vivais de manière plus libre. Et finalement, j’ai eu envie de retourner à la messe. C’était ce qui me rapprochait le plus de ce que je croyais».
Cette position de tiraillement vécue par de nombreux fidèles, l’Église l’a abordée pour la première fois de manière ouverte au cours du «synode sur l’avenir de l’Église» qui a rendu ses conclusions ce 29 octobre[1]. Le pape François avait laissé la porte ouverte à une possible homosexuels[2]. bénédiction des couples Ce point précis, sur lequel plusieurs [3] cardinaux conservateurs avaient exprimé leur inquiétude, a été rejeté. Globalement, le sujet présenté comme plein de «complexité» a même été plutôt éludé. Le terme «couples homosexuels» n’apparaît nulle part, pas plus que celui de «LGBTQ+» qui était pourtant évoqué dans le document de travail initial. Seule proposition : «instituer un ministère de l’écoute et de l’accompagnement».
La chasteté, défi peu relevé
Thibaut a bien essayé de creuser ce sujet lui-même. Mais ces termes lui ont paru relever d’un épineux débat théologique qui le dépasse. «Il faut un bac+10 en théologie pour comprendre», grince l’étudiant. «D’un côté ils reconnaissent que cela existe et que ce n’est pas une maladie, mais l’abstinence qu’ils proposent est un chemin qui n’est pas fait pour tout le monde». Car l’Église propose une seule voie pour les personnes LGBT : la pratique de la «chasteté», c’est-à-dire l’abstention de toute relation charnelle.
Certains ont relevé ce défi. Comme Philippe Ariño, conférencier et auteur de plusieurs livres sur le sujet, qui a voulu faire de ce choix de vie un témoignage. Sans la regretter pour autant, il confie toutefois au Figaro être aujourd’hui «fébrile» sur cette exigeante position, qui n’est choisie selon lui que par une infime partie des homosexuels catholiques. «Je suis sur la corde raide par rapport à la continence», explique-t-il. «Je l’ai pourtant pratiquée totalement de 2011 à 2016, en allant jusqu’à l’arrêt de la masturbation. J’ai vécu les joies de cet apostolat. Mais aujourd’hui, je ne peux pas vous dire que c’est le chemin». L’auteur se dit «atterré» du niveau de réflexion au sein de l’institution de l’Église, qui entretient selon lui un grand «tabou». «Dans ce contexte, c’est presque impossible de tenir», déclare-t-il désabusé.
Étouffer son désir, faire comme s’il n’existait pas, Armelle a toujours eu la conviction intime que ce choix-là n’était pas le bon. «C’aurait été choisir la mort, au sens spirituel», explique cette jeune professionnelle, qui a toujours grandi dans la foi catholique, a été scout, et a découvert être lesbienne lors d’une rencontre à 23 ans. «Je me suis dit d’abord : l’Église n’a pas l’air d’être d’accord avec ça. Pourquoi ça me tombe dessus, alors que je suis proche de Dieu ?» Pour trouver sa voie, Armelle est tombée sur des prêtres à l’écoute. «Des prêtres qui m’ont simplement dit : qui suis-je pour te dire ce que le Seigneur veut pour toi ?» Aujourd’hui, elle vit en couple avec une femme, elle aussi catholique, et elle travaille comme secrétaire de paroisse. Sa compagne et elle n’ont «jamais eu l’impression d’être en conflit avec l’Église». «J’ai toujours été en recherche de vérité, et j’ai beaucoup creusé, et ce qui continue de me porter dans cette quête, c’est cette certitude de l’amour inconditionnel de Dieu pour moi.»
Trouver sa propre relation à Dieu
L’association David et Jonathan, chrétienne et LGBTI+ qui organise des groupes de rencontre et de prières, accueille de nombreuses personnes isolées ou perdues, qui sont dans leur grande majorité «en tension entre leur orientation sexuelle et leur aspiration spirituelle», explique son porte-parole au Figaro. «Certaines sont très loyales envers l’Église catholique, et attendent une évolution de sa part. D’autres ont été blessées par elle, et cherchent un chemin de foi différent. Beaucoup de blessures viennent souvent de la parole institutionnelle. Pour beaucoup, la doctrine morale telle qu’elle continue d’être portée fait mal».
«Je ne connais aucune personne qui suive les enseignements de l’Église sur ce sujet et qui soit épanouie, spirituellement et humainement», affirme pour sa part Hervé*. Peu de temps après la découverte de son homosexualité à 18 ans, cet Ariégeois a quitté la France. Dans le monde anglo-saxon, il a trouvé son équilibre en s’investissant, lui et son compagnon, dans la vie de paroisse. Et personne n’a jamais posé de question. Cela n’avait pas été la même chose en France. «Les catholiques à qui je me confiais étaient gênés. Ils étaient pris au dépourvu», continue Hervé. «Je me détestais, j’allais à confesse deux ou trois fois par semaine. J’assistais à la messe plusieurs fois par semaine car je prenais l’hostie comme un remède. Je me suis fait en quelque sorte ma propre thérapie de conversion». La lecture du théologien britannique James Alison, prêtre gay et passionné de la théorie du bouc émissaire de René Girard, a constitué un tournant pour Hervé.
Pour trouver réponse à sa soif intellectuelle et spirituelle, il a entamé une thèse dans une faculté de théologie sur la place des homosexuels dans l’Église. Mais cela devenant «trop douloureux», il a changé de sujet. La psychologue qui le suit aujourd’hui a diagnostiqué un «traumatisme», avec tous les symptômes : anxiété, sentiments de honte profonde, haine de soi. «Je n’ai pas eu directement de réactions de rejet. Mais je sens que l’on est des chrétiens de seconde zone.»
«Est-ce que je suis utopique ?»
Longtemps, Thibaut a été «en colère» contre l’Église. «Aujourd’hui je le suis moins, car je me dis que ce sont juste des hommes entre eux qui essayent d’y faire quelque chose.» Mais c’est dans une profonde solitude qu’il a dû trouver son équilibre. «Entre ma foi que je n’avais pas envie de lâcher, mon homosexualité que je ne voulais pas nier, c’est un équilibre que je devrai chercher toute ma vie», assure-t-il. «Si ça se trouve, je me fais des illusions en pensant que j’ai ma place. Peut-être que si je parlais avec les plus grands théologiens du monde, ils me pulvériseraient en quelques mots avec leur théorie. Mais moi, je fais comme je peux. C’est quelque chose que nous n’avons pas choisi. À partir de là, qu’est-ce qu’on en fait ? Je ne sais pas vraiment ce que j’espère. J’ai simplement envie de vivre une vie de couple heureuse et simple, selon les commandements».
Tous aspirent à ce que l’Église prenne à bras-le-corps le sujet. «Il serait bien que les prêtres se forment, et ne disent pas n’importe quoi à n’importe qui. Cela peut blesser à vie, souligne Armelle. Je connais beaucoup de personnes homosexuelles dans mon entourage qui au mieux quittent l’Église, au pire ont des idées suicidaires».
Et la trentenaire de s’interroger : «Est-ce que je suis utopique ? Je pense sincèrement que, si l’on n’est pas comme un couple hétéro – c’est l’évidence biologique, on ne peut avoir de bébés – on a autre chose à apporter. Est-ce que je suis utopique de le penser ?». La filiation, autre question qui engendre encore d’autres choix. Au Royaume-Uni, Hervé et son compagnon n’excluent pas d’adopter. «Il y a tellement d’enfants sans parents dans le monde, cela aurait du sens», expliquent-ils, tout en s’interrogeant: un prêtre accepterait-il de baptiser des enfants d’un couple homosexuel ?
«Un prêtre qui organise des retraites pour les personnes LGBT+ me disait : mes relations avec vous, couples homme-homme ou femme-femme, sont différentes, rapporte encore Armelle. Je crois que nous avons quelque chose de différent à apporter et à valoriser. Mais que l’Église nous écoute !».
*Le prénom a été modifié
1) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/avenir-de-l-eglise-le-rapport-du-synode-rejette-la-benediction-des-couples-homosexuels-et-reporte-une abolition- du-celibat-des-pretres-20231029
2) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-pape-francois-estime-que-les-couples-de-meme-sexe-peuvent-etre-benis-20231003
3) https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ces-critiques-qui-soufflent-sur-le-synode-20231004