Textes

« Fiducia supplicans » : « L’Église se fige dans l’idéalisation plutôt que d’intégrer nos enfants »

La Croix, publié le 18/12/2024

Tribune de Claire Bévierre, Nathalie de Williencourt et Florence Euverte - Parents ou proches
Doctrine et pastorale

Mères d’enfants chrétiens homosexuels, les autrices de ce texte témoignent de leur expérience un an après la publication de Fiducia supplicans, qui autorise la bénédiction des couples homosexuels. Elles promeuvent une approche de terrain, fondée sur la rencontre et la formation, et demandent une évolution doctrinale.

Il y a un an, avec Fiducia supplicans, les chrétiens homosexuels et leurs proches ont reçu un cadeau de Noël inattendu. Avec mille précautions et sans avancée théologique, le texte ouvrait la possibilité de bénédiction des couples homosexuels. Sans liturgie, rapidement, discrètement et si possible spontanément, et en rappelant bien que ce n’était en rien équivalent au sacrement de mariage. Ce cadeau s’est vite avéré empoisonné : dire une prière sur un couple qui s’aime, louer Dieu pour cela et demander son aide dans sa vie ?

Des voix se sont élevées, selon lesquelles le texte insulterait la Création divine, l’Église se laisserait pervertir par un lobby occidental et, pour faire bref, cette déclaration du dicastère finalement timide attaquerait les fondements mêmes de l’institution. En France, les évêques ont appelé à bénir largement les personnes et non les couples. Le Vatican a fini par faire une déclaration dans le même sens. Le souci de « ne pas faire scandale » a été répété jusqu’à plus soif, un terme qui, survenant peu de temps après le rapport de la Ciase, nous a semblé particulièrement malvenu.

Des propos homophobes

Nous, les parents, avons été blessés par les propos stigmatisants, homophobes bien souvent, tenus sur nos enfants. Des jugements durs et méconnaissant la réalité de leurs vies. Nous les voyons au quotidien : ils ne sont pas différents de leur fratrie hétérosexuelle, ont les mêmes ambitions pour leur existence, le même souci d’aimer et d’être aimé, les mêmes valeurs. Alors pourquoi seraient-ils porteurs des germes de la destruction de l’Église lorsqu’ils sont amoureux ? Doivent-ils vraiment porter leur croix, comme le dit le Catéchisme (1) ? Avec leur orientation non choisie qui a déjà été une souffrance lorsqu’ils l’ont découverte, auraient-ils reçu une grâce particulière qui leur permette de s’amputer de toute vie affective ?

On va rapidement éliminer l’idée de la perversion occidentale d’un lobby, Mgr Wintzer y a déjà largement répondu. Est-ce alors une question d’exégèse, de théologie ? Si la remise en cause du Magistère crispe tant l’institution, c’est qu’elle ouvre une brèche dans toute sa doctrine éthique et sexuelle : l’Église n’autorise en effet une relation que si elle unit un homme et une femme, liés par le sacrement du mariage, et ouverts sur la vie. Ce qui de fait est impossible pour des couples de même sexe. De grands théologiens et exégètes montrent que cette doctrine est le fruit d’une histoire commencée avec les stoïciens et qu’il est temps de l’actualiser.

Alors que pouvons-nous, parents catholiques, apporter à l’Église sur le sujet ? Nous proposons notre chemin de vie. Nous aussi, nous avons été ébranlés lorsque nos enfants nous ont annoncé leur homosexualité. Nous avons été dans le trouble. Pour certains qui connaissaient mal cette réalité, taboue, des images fantasmées de ce que serait leur vie se sont présentées. Pour d’autres, la lecture de ce que dit l’Église a été d’une violence inouïe et a créé un conflit de loyauté entre celle-ci et leur enfant. Nous avons accueilli récemment le millième participant à nos groupes de parole entre pairs et nous constatons toujours ce même choc, ces larmes, cette difficulté à faire le deuil de l’hétérosexualité de son enfant, ces interrogations sur le Magistère. Et trop souvent la honte, la culpabilité, parfois même la division de la famille.

Rencontre et formation

Le premier secours a été la rencontre : ne pas rester seuls, échanger avec des familles vivant la même réalité que nous, et aussi côtoyer et écouter les chrétiens LGBT. Nous avons rencontré des chrétiens merveilleux qui ont été fragilisés dans leur itinéraire, notamment par le discours de l’Église ou ses représentants. Des personnes partageant les mêmes valeurs, capables de s’aimer et d’aimer, d’être en relation stable, de construire leur propre modèle de vie, de se donner aux autres, d’être heureux. Cette certitude nous a rassurés sur l’avenir de nos enfants. Que l’Église ose entendre le témoignage de ces chrétiens homosexuels qui nous ramènent au cœur du message de l’Évangile : la certitude d’être aimé de Dieu, inconditionnellement. Si le Christ est en eux, si le Christ leur parle, alors qu’il les connaît intimement, comment l’Église le refuserait-elle ?

Après la rencontre, la formation : qu’est-ce que l’homosexualité, comment a-t-elle été perçue dans la société, que disent les sciences humaines, comment les lois civiles évoluent-elles, comment s’est forgé le Magistère, sur quels textes s’appuie-t-il, comment les exégètes contemporains les interprètent-ils ?

La théologie du corps de Jean-Paul II

Et enfin, que disent les travaux des théologiens moralistes (2) ? Nous avons pu constater, lors de nos différents entretiens avec des pastorales, ou lors de rencontres avec des mouvements, que la formation ou le discours de l’institution sur l’homosexualité s’ancre aujourd’hui davantage dans la théologie du corps de Jean-Paul II, qui présente un beau schéma mais exclusif, que dans les travaux de Xavier Thévenot, pourtant issus de son accompagnement de personnes homosexuelles.

Or le pape demande désormais de pratiquer une théologie qui parte « des différents contextes et des situations concrètes dans lesquelles les peuples sont insérés », en se mettant «au service de l’évangélisation (3) ». Nous sommes sûrs que l’Église gagnerait à une plus grande intégration des réalités de vie. Au lieu de quoi elle se fige dans une idéalisation qui fixe des objectifs que certains chrétiens homosexuels atteignent parfois, pour beaucoup au détriment de leur santé mentale ou de leur entourage, mais qui perd la majorité en chemin.

Enfin, nous sommes revenus aux textes de Vatican II qui exposent une hiérarchie des vérités. Seul est immuable ce qui est indispensable au salut : la foi dans le Christ ressuscité et l’amour de son prochain. Vatican II fait droit à la conscience, à la singularité des vies, rejoignant ce que les théologiens ont appelé l’articulation des trois dimensions de la morale. Faisons confiance : laissons aux chrétiens homosexuels le soin de discerner, dans un dialogue intime avec le Christ, leur chemin singulier de sainteté. Non malgré ce qu’ils sont mais à partir de ce qu’ils sont.

Rencontre, formation, respect de la dignité et la conscience de chacun, l’Église n’en sortira pas ébranlée dans ses fondements : elle en sortira plus grande, enrichie de la présence de tous, plus forte et apaisée.

(1) Catéchisme de l’Église catholique, paragraphes 2357, 2358, 2359
(2) À la fin du mois de janvier, nous mettrons en libre accès sur notre site un ensemble complet d’outils de formation, vidéos, textes, témoignages de chrétiens LGBT, interviews de théologiens… Les fiches pratiques sont déjà en ligne.
(3) Motu proprio Ad theologiam promovendam, octobre 2023