Alors que l’homosexualité est toujours perçue comme problématique au sein de l’Eglise, des catholiques décrivent la tension intime permanente entre leur foi et leur appartenance à la communauté LGBTQ+. Le sujet s’est invité au cœur des réflexions du synode qui se tient à Rome jusqu’au 29 octobre.
Antoine l’a très vite su et n’en a jamais douté par la suite. Agé de 39 ans aujourd’hui, il en avait 10 quand il a compris qu’il aimait les hommes. Et depuis, explique ce fervent catholique, « tout est bloqué quand on ne veut pas mentir ». « Il faut s’imaginer qu’en tant que jeune catholique pratiquant, l’enfer nous environne et qu’il peut s’ouvrir sous nos pieds si on décide de commettre la moindre incartade comme par exemple embrasser un autre garçon », raconte celui qui, gardant encore le secret de son orientation sexuelle pour certaines personnes de son entourage, notamment dans sa paroisse, a requis l’anonymat comme la plupart de ceux qui ont accepté de témoigner.
Pour essayer de réprimer ses envies et les concilier avec sa foi, Antoine décide très vite de devenir prêtre. « Cela permet aussi d’expliquer aux autres pourquoi, ado, on n’aime pas le foot, pourquoi on ne se castagne pas, pourquoi on n’a pas de copine… », sourit-il. Mais un document émis par le Vatican en 2005 et interdisant l’ordination de prêtres gays le coupe dans son élan. Il décide alors d’entrer au monastère, un lieu où, pense-t-il, la chasteté sera plus facile, les tentations moindres… Il y restera de ses 22 ans à ses 36 ans. Et ne commence une véritable vie affective qu’à sa sortie.
Comme Antoine, ils sont nombreux en France à tenter de concilier leur foi catholique et leur appartenance à la communauté LGBTQ+. Bien que nombre de paroisses et de clercs tentent de se montrer plus inclusifs et plus sensibles à la question, l’homosexualité est toujours perçue comme problématique au sein de l’Eglise.
« Culpabilité et angoisse »
Moins conservateur que ses prédécesseurs Benoît XVI et Jean-Paul II avant lui, le pape François a eu plusieurs prises de parole exprimant son désir de créer une Eglise plus inclusive. Aujourd’hui, c’est dans le cadre de son « synode sur la synodalité », grande réunion sur l’avenir de l’institution organisée du 4 au 29 octobre à Rome, que le sujet s’est invité. Dans les documents de travail sur lesquels se fondent les participants de cette grande assemblée s’est ainsi posée la question de mesures « concrètes » pour « atteindre les personnes qui se sentent exclues de l’Eglise en raison de leur affectivité et de leur sexualité (par exemple, les divorcés remariés, les personnes vivant dans des mariages polygames, les personnes LGBTQ+, etc.) ».
Il en va ainsi plus précisément de la question de la bénédiction des couples homosexuels réclamée par de nombreux fidèles, mais contre laquelle se battent les éléments les plus conservateurs de l’Eglise, estimant qu’elle revient de fait à une reconnaissance par l’institution d’un mode de vie pourtant jugé « désordonné».
Dans le magistère catholique, si être attiré par une personne du même sexe n’est pas en soi un péché, l’acte sexuel, la pratique ou la vie maritale le sont. Une vie épanouie, conforme à son orientation, apparaît alors difficile pour le fidèle car contraire à la vision de l’Eglise. « Répression de ses propres sentiments et envies », « souffrance intime et morale », « perte de confiance et d’estime de soi », « culpabilité et angoisse »… Beaucoup de personnes LGBTQ+ se sentent exclues, sans vraie place au sein d’une institution dans laquelle la morale sexuelle tourne principalement autour du couple hétérosexuel voué à procréer. « Le catholicisme français est assez conservateur sur ces questions-là, si on compare à l’Allemagne et à la Belgique, malgré les évolutions récentes de la perception de la question dans l’Eglise, notamment post-mariage pour tous. On voit du côté du clergé une vraie difficulté pour prendre la parole sur ces sujets », explique Céline Béraud, sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
« Ça passera »
Ils sont nombreux à décrire une tension intime permanente entre leur foi et leur identité sexuelle. « J’ai passé ma vie entière là-dessus », soupire Thiebault Delarue, 61 ans. Issu d’une famille très croyante et investie dans la vie de la paroisse, le Parisien a refoulé son homosexualité jusqu’à l’âge de 17 ans. Pendant son adolescence, il entend que toute forme de sexualité hors mariage, y compris la masturbation, constitue « un péché mortel ». « Quand on est profondément croyant, qu’on aime Dieu, c’est terrible d’entendre un tel discours. A chaque masturbation, j’allais me confesser. » Le jour où il ose confier à son aumônier, « un type génial, très moderne », son attirance pour les garçons, ce dernier lui répond que c’est « une étape de l’adolescence, que ça passera ». Mais « ça ne passe pas », pas plus que sa honte et sa culpabilité.
Comme Antoine, pensant résoudre ainsi ses tourments, Thiebault Delarue entre au monastère à 22 ans et y passe un an. A sa sortie, sa rencontre avec le théologien Xavier Thévenot est un tournant. « Il m’explique qu’il arrive qu’on ne choisisse pas entre le bien et le mal, mais entre deux maux, et qu’en tant que chrétien il faut choisir le moindre mal. » « [Cette réflexion] m’a libéré, je me suis dit que j’allais essayer de vivre. » Il se tourne depuis vers des lieux de spiritualité qui se caractérisent par leur tolérance. « Je suis toujours pratiquant, je vais là où je trouve des croyants intelligents. »
« On marche sur des œufs »
Car, de l’avis de tous, les lieux de pratique et donc les paroisses fréquentées semblent déterminants dans le rapport à la foi et le sentiment d’acceptation. « On ne sait jamais quel accueil on va avoir. On marche sur des œufs. Les choses peuvent correctement se passer. Et puis… si le curé change, si l’équipe paroissiale change, si on déménage ou souhaite accéder à un sacrement, on ne sait pas comment on va être reçu », explique ainsi Cyrille de Compiègne, porte-parole de l’association David & Jonathan, créée au début des années 1970 pour accompagner les membres de la communauté LGBTQ+ dans leur foi
Paul, 22 ans, également connu sous le pseudonyme de Stello sur YouTube, explique, lui, avoir trouvé dans l’Eglise des « accompagnants ». « Je me posais des questions et j’avais besoin de réponses », raconte le jeune homme qui relate être allé à la rencontre de plusieurs prêtres pour leur exposer sa situation. Certes, il a connu des « regards en biais » et des « grands moments d’exclusion ». Mais il a trouvé la paix dans une paroisse dont le curé lui a expliqué que « c’était bien qu’il existe ».
Avant d’avoir ses jumeaux, François, 55 ans, était bénévole à La Soupe Saint-Eustache, une association de distribution alimentaire liée à la paroisse du même nom, près du quartier des Halles, à Paris. C’est ainsi, par l’engagement associatif, qu’il a renoué avec les bancs de l’Eglise, désertés depuis la prise de conscience de son homosexualité à 30 ans. « A cette époque, quand j’entendais le discours de l’Eglise sur les homosexuels, de Jean-Paul II puis de Benoit XVI, je me disais : “Ce n’est pas possible, ce n’est pas mon Eglise.” », raconte cet ex-Parisien, élevé dans la foi catholique.
Le goût amer de La Manif pour tous
A l’inverse, les valeurs de tolérance, d’accueil, qu’il a trouvées à Saint-Eustache, l’ont réconcilié avec la pratique religieuse. « Les gays y ont toujours été très bien accueillis, c’est une paroisse gérée par l’Oratoire de France », un courant spirituel marqué par son ouverture. Elle s’est d’ailleurs manifestée lorsqu’il a exprimé son désir de faire baptiser ses jumeaux, nés d’une mère porteuse aux Etats-Unis. « C’est le prêtre que je connaissais qui a tenu à les baptiser, il a organisé la cérémonie en faisant venir l’organiste, le chantre. On a fait ça dans le chœur de l’église, j’ai été très bien accueilli et presque starifié », se souvient-il avec satisfaction.
« Moi, mes enfants je les ai emmenés dans cette église-là, pas dans une église qui se mêle de quelque chose qui ne la regarde pas », explique François qui se rappelle le choc ressenti en entendant l’appel à la prière contre le mariage gay lancé le 15 août 2012 par le cardinal André Vingt-Trois, préfigurant la mobilisation d’une partie des catholiques, emmenés par La Manif pour tous, contre la loi sur le « mariage pour tous ». De ce temps-là, certains ont gardé le goût amer d’une institution qui exprimait ouvertement son rejet.
Ce fut « un moment d’homophobie ecclésiale, explique Céline Béraud. Il y avait des prêtres qui appelaient à aller manifester, ou des laïques qui vendaient des goodies de La Manif pour tous. » Les personnes LGBTQ+ « engagées dans leurs paroisses, impliquées, l’ont très mal vécu jusqu’au point de suspendre leurs pratiques dominicales ou de se tourner vers des communautés moins focalisées sur l’actualité », précise la chercheuse. Par la suite, la situation a certes un peu changé, notamment avec la révélation des agressions sexuelles qui ont rendu la position moraliste de l’institution plus difficile à tenir. Mais il reste encore beaucoup de lieux où les LGBTQ+ ne se sentent pas bien accueillis, poussant certains à s’éloigner.
Cultiver sa relation à Dieu
Un temps, Sabine a pensé que devenir religieuse était « forcément plus fort, plus haut, que d’être en couple avec une femme ». Ne connaissant pas d’autre personne homosexuelle, elle avait « une idée très vague de l’épanouissement que ces personnes pouvaient vivre dans leur couple ». Elle a donc fait le choix de s’engager, de ses 28 à ses 31 ans, dans un ordre contemplatif cloîtré. Aujourd’hui, elle en a fini avec les tourments entre ces deux composantes de son être. « Grâce à des associations comme DJ’Arc-en-ciel et Devenir un en Christ, je me suis vraiment réunifiée, ces deux dimensions ne sont plus séparées », explique-t-elle.
Au discours liant homosexualité et péché, elle oppose qu’« aimer et être aimée apporte forcément quelque chose au monde ». « Je ne me vois pas renoncer à cela. Pour moi, c’est un lieu où l’amour de Dieu se manifeste de manière très particulière. Ce serait contre nature de vouloir s’en priver. » La jeune Rouennaise, qui reconnaît vivre aujourd’hui sa foi « assez seule », s’éloigne « de plus en plus » de l’Eglise, où elle trouve difficilement sa place. Ce qui ne l’empêche pas de souhaiter « que l’Eglise reconnaisse l’union entre deux personnes de même sexe comme un réel chemin de vie, une vocation possible ». Pour elle, le plus important est de cultiver sa relation à Dieu. L’Eglise n’est « qu’un moyen d’y parvenir ». « Si elle ne m’accepte pas dans ma totalité, je ferai sans elle », tranche-t-elle.
Silvia, Vénézuelienne de 22 ans installée à Paris avec sa mère depuis quelques années, a, elle, trouvé une façon de faire exister ces deux composantes. Elle raconte avoir assez vite eu besoin d’« un espace à la fois chrétien et LGBT pour pouvoir vivre ça tranquillement ». Ce qui l’a conduite auprès de l’association David & Jonathan. Trouver cet espace « safe » lui permet de moins ressentir ce sentiment de se tenir « entre deux mondes ». Ses lectures, et ses échanges « au niveau spirituel » avec d’autres jeunes homosexuels croyants, lui ont permis d’assumer ce qu’elle est. A la dernière Marche des fiertés, elle a voulu l’afficher en portant une pancarte « Les chrétiens LGBT ça existe »