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Coming out en entreprise

« Je suis polytechnicien, blanc, catholique et quand je décide de vivre mon homosexualité, je dois me cacher »

Personne homo+
Coming-Out

Il lui aura fallu attendre la cinquantaine pour qu’Alexandre Maymat puisse faire son coming out, d’abord à lui-même, puis auprès de ses collègues de la Société Générale où il siège au comité de direction en tant que responsable Global Transaction & Payment Services. Le 17 mai dernier, il poste un texte sur LinkedIn pour ôter le « masque » et aider tous les collaborateurs LGBT+ à se libérer.

Alexandre Maymat, 55 ans, membre du comité de direction de la Société Générale.
Par Florent Vairet,
Publié le 15 déc. 2022 à 8:11 dans les Echos Start

Comment avez-vous débuté votre coming out au sein de la banque ?

Très progressivement. J’ai d’abord accompli deux actes intermédiaires avant mon coming out public. Le premier a été d’inviter mon équipe rapprochée à dîner chez moi, avec mon mari. Un premier choc (Alexandre Maymat a été marié pendant vingt ans avec une femme, NDLR). Le deuxième a été lorsque Frédéric Oudéa, PDG de la Société Générale, a invité les membres du comité de direction (codir) de la banque et leur conjoint à un concert à l’Opéra Comique pour fêter la création de la nouvelle Fondation du groupe. J’y suis venu avec Franck. C’était mon outing vis-à-vis de mes pairs au sein de la banque. On est alors à l’automne 2021.

A ce moment, que ressentez-vous, de la fierté, du stress ?

Tout à la fois. Chacune de ces étapes est une étape supplémentaire dans la liberté que je m’octroie d’être moi-même. Mais si je réussis cette étape, c’est parce que la banque a, depuis une dizaine d’années, beaucoup progressé sur ces sujets-là. En tant que membre du codir, on m’a par exemple proposé en juin 2021 de bénéficier d’un reverse mentoring réalisé par le réseau Pride & Allies de la Société Générale. Cet exercice visait à permettre au codir de prendre conscience de la souffrance d’un certain nombre de nos collaborateurs LGBT. Dans mon cas, ce reverse mentoring a pris une dimension particulière. Il a été l’occasion de révéler mon identité sexuelle au réseau puis de réfléchir sur la manière dont j’allais utiliser mon rôle au sein de l’entreprise pour favoriser l’inclusion.

Votre coming out prend alors une autre dimension le 17 mai 2022 quand vous révélez sur LinkedIn votre homosexualité. Quelles ont été les réactions ?

D’habitude, quand je fais un post sur le « cash management », s’il y a 1.000 lecteurs, c’est la mer à boire. Quand je fais un post sur mon coming out, 100.000 personnes le lisent. J’ai été totalement dépassé par l’ampleur. Parmi les messages, beaucoup de collaborateurs m’ont remercié pour ce texte qui les soulageait. Certains m’ont d’ailleurs raconté des histoires bouleversantes.
Ensuite, j’ai voulu amplifier mon engagement, en participant par exemple à des réunions des réseaux LGBT aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Asie. C’est une chose d’avoir une posture de principes favorisant l’inclusion et la diversité, c’en est une autre de l’incarner dans un visage, dans une histoire, dans un niveau de management tel que le mien.

Comment a réagi le comité de direction à ce qui pourrait s’apparenter à un mélange des genres entre privé et public ?

Avant de publier ce texte, je l’ai envoyé aux membres de la direction générale du groupe. Dans les deux heures, j’ai reçu de chacun d’entre eux un message bienveillant, chaleureux, reconnaissant à la fois le courage et le bien-fondé de ma démarche. Quand j’ai publié mon post sur LinkedIn, j’ai reçu des messages de soutien, de félicitations, d’encouragement, et beaucoup venaient de mes pairs. Mais certains d’entre eux sont restés silencieux… Toutefois, c’est resté un silence. Je n’ai fait l’objet d’aucune attaque personnelle.
Dans la foulée du 17 mai, on a fait signer par l’ensemble des membres du codir la charte de l’Autre Cercle (qui engage l’entreprise dans des changements concrets de culture et de pratiques en faveur des LGBT +, NDLR). Environ 95 % d’entre eux l’ont signée.

Que répondez-vous justement à ceux qui vous objectent que votre orientation sexuelle ne regarde pas la banque ?

D’une certaine manière, mon inclination sexuelle ne regarde pas l’entreprise et relève de la sphère privée. Pour autant, en tant que manager d’entreprise, on doit tout faire pour que l’ensemble de nos collaborateurs se sentent le mieux possible et soient capables de donner le meilleur d’eux-mêmes. Et la meilleure manière de donner le meilleur de soi-même, c’est d’avoir la possibilité d’être pleinement soi dans l’entreprise, pour que toute l’énergie mise à se cacher, à faire attention à ce qu’on dit, à porter un masque soit plutôt mise au bénéfice de l’entreprise.

Dans votre cas, combien avez-vous souffert de ce masque ?

Avant mon coming out, j’étais une caricature de l’élite à la française : polytechnicien, blanc, catholique, bourgeois, français, banquier, hétérosexuel, père de 4 enfants. Je n’avais aucune difficulté à me raconter, y compris en milieu professionnel. Le jour où je décide de vivre mon homosexualité, il y a une partie de moi que je ne veux plus révéler. Je rentre alors dans des stratégies de dissimulation. Cette posture qui me conduisait à me mettre derrière un paravent, elle m’empêchait de développer ma capacité de créativité, ma liberté intérieure qui me rend meilleur.
Et je sais qu’un certain nombre de collaborateurs vivent avec ce masque. 3.000 d’entre eux ont répondu au baromètre de l’Autre Cercle sur le bien vivre des collaborateurs LGBT à la Société Générale. On apprend que la moitié n’ont pas fait leur coming out. Et parmi eux, la moitié disent avoir subi des discriminations.
Est-ce à dire que vous les invitez à faire leur coming out ?
Cela relève de leur choix le plus intime. Mais je voudrais leur dire qu’ils et elles ont le droit de le faire et qu’il ne leur arrivera rien le cas échéant. Cela les libérera d’années de faux-semblants dans lequel ils ou elles se sont construits.

Mais pour être clair, les encouragez-vous à révéler leur orientation sexuelle ou leur identité de genre ?

En tant que manager, je n’ai pas à les pousser à le faire. S’ils ne se sentent pas prêts, c’est leur liberté individuelle. Mais qu’ils sachent que dans mon cas, cela a m’a fait beaucoup de bien.
Ce que je peux aussi leur dire, c’est qu’on a tous besoin de rôles modèles. Et les rôles modèles qui font souvent le plus de bien sont ceux qui sont le plus proches de notre expérience. Dans le cas de mon coming out, mon positionnement paraît un peu inaccessible pour des salariés à des postes loin du mien. Peut-être que le coming out de personnes plus proches d’eux, de leur environnement de travail, de leur culture, pourrait leur faire plus de bien. J’invite donc chacun des collaborateurs LGBT à simplement se poser la question de leur rôle dans l’entreprise.
Qu’est-ce que votre coming out a changé dans votre posture managériale ?
Des salariés m’ont dit que ce coming out avait changé la relation qu’ils avaient avec moi en tant que manager. En les ouvrant à ma vulnérabilité, ils m’ont dit que je leur ai permis de dire la leur. Ce genre d’expériences imprime un mode de management autour de l’authenticité et de la fragilité. Ça crée une humanité dans la relation managériale.

Vous insistez sur le fait que votre engagement dépasse au fond l’intérêt de la communauté LGBT. Expliquez-nous.

Quand je m’engage en tant que sponsor du réseau LGBT, ce n’est pas pour défendre un intérêt catégoriel. Bien sûr au travers de mon coming out, je permets à des homosexuels de dire, s’ils ont envie de le dire, qui ils sont. Mais j’espère surtout promouvoir un climat d’entreprise qui favorise l’insertion de toutes les minorités, enclin à une curiosité bienveillante, à l’absence de jugement, à l’ouverture d’esprit. Une culture d’entreprise favorable aux gens venant d’une autre culture qui n’ont pas grandi dans les milieux bourgeois d’où viennent la plupart des top managers de la banque. Une culture qui permet aussi aux femmes d’exprimer pleinement leur féminité, sans avoir à emprunter les codes de la masculinité pour accéder à des postes importants au sein de la banque.

Observez-vous qu’il est plus simple pour les plus jeunes collaborateurs d’assumer qui ils sont ?

Bien sûr. Et un certain nombre d’entre eux me disent : « Mais pourquoi est-ce encore un sujet ! ? » On sent bien dans la nouvelle génération une capacité à se chercher, à explorer des voix différentes, ce qui est un bon témoignage de la liberté avec laquelle l’identité sexuelle se construit. Je vois aussi une jeune génération pour laquelle la barrière entre la vie privée et la vie professionnelle se dilue. Elle veut être elle-même partout où elle est. Elle est en recherche de cohérence dans l’ensemble des événements de sa vie.
Florent Vairet