Livres

La caste des chastes

Les prêtres, le sexe et l'amour

Marco Marzano - Scientifique
Général
Nous faisons nôtre l'excellente recension sur le blog du Père Luc Schweitzer, religieux de la Congrégation des Sacrés-Coeurs :

" Quand on est séminariste, puis prêtre (séculier ou régulier), il est un exercice auquel on est presque obligatoirement obligé de se plier une fois ou une autre, celui de témoigner, de préférence devant une assemblée de jeunes garçons, de sa vocation et de sa vie, soit de séminariste soit de prêtre (ou de religieux prêtre), le but étant, bien évidemment, de séduire l’auditoire et, si possible, de susciter une ou plusieurs vocation(s) nouvelle(s). De ce fait, ce qu’on attend de l’orateur, c’est que sa prestation prenne les apparences d’un panégyrique. Ce à quoi, bien sûr, se prête docilement le séminariste ou prêtre discoureur. Il convient donc de ne rien dire de ses difficultés, si on en éprouve, ou, à tout le moins, de les minimiser. C’est le cas, tout particulièrement, pour ce qui concerne la vie affective et sexuelle. Le mieux est de n’en rien dire ou, si l’on en parle, de donner le sentiment à l’auditoire qu’il s’agit d’une affaire, somme toute, mineure qu’on parvient, sans trop de peine, à maîtriser. Le séminariste, qui plus est le prêtre, doit rassurer son public en lui certifiant qu’il réussit ce tour de force de discipliner son corps et, s’étant donné au Christ, qu’il s’est libéré des tourments des autres hommes pour vivre dans la continence et la chasteté. Le prêtre est un homme heureux, un être équilibré, qu’on se le dise ! Tout propos divergent serait malvenu !

Tel est le discours que tout le monde veut entendre dans ces occasions, tant il faut donner le sentiment que d’avoir répondu positivement à une vocation et d’y rester fidèle ne peut que se solder par une vie pleinement épanouie. Certes, les nombreux scandales qui ont ébranlé la forteresse « Église catholique » depuis plusieurs années ont gravement terni la belle image que celle-ci s’est toujours efforcée de transmettre. Néanmoins, l’on continue d’affirmer que, même si l’on peut déplorer une proportion de prêtres abuseurs, violeurs, pédophiles et autres dans les rangs de l’Église, la majorité des clercs reste, quant à elle, parfaitement indemne, vierge de ces affreux dérèglements. Or ce discours, comme tout discours de l’Église sur les questions de sexualité, en particulier de celles de ses membres ordonnés (ou en voie de l’être), est foncièrement mensonger.

Pour s’en convaincre, il peut être utile de lire le livre du sociologue italien Marco Marzano, qui vient d’être traduit et publié en français. Bien sûr, il y est question de l’Église en Italie, et il peut y avoir des divergences, en particulier sur des questions de chiffres, quand il s’agit d’autres pays, comme la France. Mais le constat que fait l’auteur peut, sans nul doute, s’appliquer, grosso modo, à la plupart des pays du vieux continent (je ne parle pas du reste du monde). Ce constat, l’auteur le résume en ces termes, à la fin de l’ouvrage : « Si l’interdiction de pratiquer [le sexe] est purement une façade, l’interdiction d’en parler est au contraire une véritable loi. C’est le triomphe de l’hypocrisie comme élément de jonction entre discours et action. » Autrement dit, si l’Église maintient l’interdiction, pour les prêtres, d’avoir une vie sexuelle active, elle la tolère, dans les faits, sans autre restriction que de la placer sous le sceau du secret le plus total.

Pour étayer un tel constat, l’auteur s’est appuyé sur des années de recherche et sur la réception de nombreux témoignages. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que, même si l’on avait déjà la conviction que, sur ce sujet, l’Église se distinguait par son hypocrisie, les chiffres donnés par Marco Marzano tout comme les témoignages qui émaillent le livre laissent pantois. Pour ce qui concerne l’Italie (mais ce n’est sans doute guère différent dans un pays comme la France), 75% des membres du clergé seraient homosexuels (90% chez les séminaristes) et la majorité des prêtres pratiqueraient une sexualité active. Remarquons que, dans le livre de Marco Marzano, il est essentiellement question du clergé séculier et qu’il serait intéressant de connaître les statistiques et les témoignages concernant le clergé régulier. Il y a fort à parier que les révélations seraient tout aussi consternantes.

Il y aurait beaucoup à dire sur le livre du sociologue italien. Je ne peux tout commenter ici, mais l’un des paradoxes les plus effarants qu’il souligne porte sur l’homosexualité dans l’Église catholique. Rappelons que, même si le pape François s’est risqué à émettre des propos timidement bienveillants, le catéchisme considère les personnes homosexuelles comme déviantes et les actes homosexuels comme « intrinsèquement désordonnés ». Or, comme l’explique abondamment Marco Marzano, la même Église se montre on ne peut plus accueillante pour les garçons homosexuels, plus que pour les hétérosexuels, ces derniers étant considérés comme davantage à risque, et de quitter l’institution et de la critiquer. Les homosexuels, à condition que leurs pratiques intimes restent secrètes, paraissent beaucoup plus soumis et, de fait, ils forment la majorité du clergé. Plusieurs facteurs expliquent cette forte représentativité, l’un d’eux étant que, en devenant prêtres, les personnes concernées se dérobent à ce qui leur semble la pire chose au monde : révéler leur homosexualité aux membres de leur famille et, en particulier, à leur mère. Leur sacerdoce fait, au contraire, la fierté de leurs proches et les laisse libre de pratiquer leur homosexualité en secret autant qu’ils le veulent. Evidemment, cette sorte de duplicité n’est pas vécue de la même manière par chacun des prêtres concernés : pour les uns, elle est source de tourments, tandis que d’autres l’assument sans beaucoup de scrupules.

Il ne s’agit, bien évidemment, pas d’étayer des propos homophobes, au contraire. Pour ce qui me concerne, en tout cas, je ne souhaite qu’une chose, c’est que l’Église change du tout au tout son discours officiel sur l’homosexualité. Force est néanmoins de constater que cette présence massive de gays dans le clergé se décline sous forme de dérives dommageables. Ainsi, de la fascination identitaire que nous constatons de plus en plus, de nos jours, parmi les membres les plus jeunes du clergé, fascination qui se traduit par un conservatisme étroit et un retour en force de toutes les formes les plus ringardes de la piété. Mais, dans son livre, Marco Marzano souligne encore davantage la lamentable propension d’un clergé, uniquement composé d’hommes, à la misogynie. « L’idéalisation de la figure de la Madone, explique Marzano, ainsi que celle de sa propre mère, modelée par un regard entièrement masculin, représente en définitive une forme de puissante misogynie et conduit tout droit à la dévaluation comparative de toutes les autres femmes, du genre féminin dans son entier. » Concrètement, cela se traduit, de nos jours, par exemple, par la forte proportion de jeunes prêtres qui excluent les filles du service de l’autel pour, au mieux, leur accorder, comme lot de consolation, une fonction subalterne (je me souviens moi-même d’un évêque qui conseillait de réserver aux filles la distribution des feuilles de chants à l’entrée de l’église !).

En fin de compte, malgré tous les beaux discours dont on se plait à abreuver les fidèles (ceux qui viennent encore dans les églises) afin de donner l’impression d’un bel équilibre, la vérité est que beaucoup de prêtres ne peuvent pas supporter la vie d’abstinence sexuelle qu’ils sont censés respecter. Certains, parmi eux, trouvent ou essaient de trouver des compensations : cela va, comme écrit Marco Marzano, « du foot à l’alcoolisme en passant par l’argent, les voyages et la dépendance aux réseaux sociaux. » D’autres, nombreux, pratiquent une sexualité active, autant que faire se peut dans le secret. En vérité, « le sexe et l’amour, écrit Marzano, sont « l’éléphant dans la pièce », impossible à ne pas remarquer, mais dont tout le monde feint l’inexistence. » Au prix d’une stupéfiante hypocrisie qui n’est pas près de disparaître, la discipline de l’Église, sur ce sujet, ayant bien peu de chance de changer d’ici longtemps.

Luc Schweitzer, ss.cc.

Une enquête sociologique approfondie sur l’intimité des prêtres qui permet de lever le voile sur « la culture du secret » qui règne au sein de l’Eglise, en Italie. Le paradoxe concernant l’homosexualité,  condamnée par la doctrine, mais surreprésentée chez les prêtres, y est largement décrit.